Frise d'entete
- 16/02/2022 - Casinos & Clubs de Jeux
Réflexions sur le dispositif expérimental JADE (jeux de casinos en ligne)
Lettre au Président du Sénat

Monsieur le Président,


Notre Section représente les salariés et les cadres du secteur des casinos et clubs de jeux (Force Ouvrière est le syndicat majoritaire dans cette profession).


De ce fait, nous nous permettons de vous solliciter à la suite d’annonces émanant du syndicat professionnel « Casinos de France ».

 

Ces communications font état d’un projet en cours de finalisation, en l’espèce le dispositif « JADE » (pour « Jeu expérimental à distance »). 


Ce dispositif viserait à permettre l’expérimentation de la régulation de l’offre de jeu de casinos en ligne et, in fine, à en permettre l’exploitation par les principaux groupes nationaux afin de revitaliser ce secteur d’activité. 


Après avoir connu un plateau jusqu’à l’exercice 2018/2019, le secteur des casinos a vu son activité décroître depuis lors.


Si l’on peut être tenté d’expliquer cette désaffection (relative) par la survenance de la crise COVID, un rapprochement pourrait également être tenté avec la situation qu’ont connue les casinos au début des années 80.


La crise que traversaient alors les établissements de jeux, qui devaient faire face à une concurrence exacerbée par l’autorisation de l’exploitation des machines à sous dans des pays limitrophes et voisins (Espagne, Belgique, Allemagne et Grande-Bretagne), avait conduit à légaliser l’exploitation de ces dispositifs électroniques dans les casinos français à partir de 1987.


En toute hypothèse, et au vu des aspirations et des nouvelles pratiques des joueurs, le décalage existant entre les sites de jeux en ligne établis à l'étranger mais accessibles pour les joueurs français, et la situation des jeux présents en casino, révèle l’inadéquation de l’offre actuelle.


Il est permis de penser que, du point de vue du produit des jeux, l’ouverture des jeux en ligne équivaudrait très probablement au « phénomène Machines à sous », situation que certains d’entre nous ont connu lors de l’application de la Loi du 5 mai 1987 dite Loi « Pasqua ».


De ce fait, il semble donc légitime de s’interroger sur le montant et l’affectation des sommes qui seraient prélevées sur le produit des jeux résultant de la légalisation des jeux en ligne.


En effet, les jeux d’argent autorisés font l’objet d’un prélèvement, que celui-ci soit effectué par l’Etat, les collectivités territoriales ou les communes.


Les répercussions de ces prélèvements sont telles que l’installation ou l’exploitation d’un établissement de jeu dans une commune est une décision hautement stratégique car les collectivités locales utilisent le fruit de ces prélèvements à des fins diverses, telles que l’alimentation du budget général, le remboursement des dettes, le financement des activités culturelles et sportives aux administrés, le subventionnement des associations locales et, plus généralement, le financement des services municipaux.


Cette ressource est parfois déterminante pour les budgets communaux, ainsi que le relevait la Cour des Comptes en 2001.


Cette situation a été accentuée début 2010 par la baisse de la « DGF », la dotation globale de fonctionnement, qui constitue la source principale du budget des communes. 

 

Sur ce sujet l’analyse de la Cour des Comptes ne fait pas débat, les règles des prélèvements publics, en matière d’assiette, de barème et d’abattement, demeurent complexes et très mal appréhendées par les collectivités examinées.

Elle en conclut qu’« Il est donc important de mieux protéger les intérêts de collectivités qui, dans nombre de cas examinés, ne disposent pas de l’expertise juridique nécessaire pour l’élaboration de clauses qui, bien que non précisées aujourd’hui dans le code général des collectivités territoriales, paraissent pourtant essentielles pour ces délégations de service public. Principal bénéficiaire des prélèvements publics sur ces activités, l’État se doit d’établir de nouvelles règles mieux à même de rétablir un équilibre dans cette relation complexe. »



Les options restent en l’état actuel des choses relativement ouvertes et, si la transformation en profondeur de l’offre des jeux d’argent semble désormais inéluctable, les représentants des salariés que nous sommes s’inquiètent de ce qui pourrait advenir des emplois actuels dans un secteur qui a vécu, ces dernières années, des pertes d’emploi conséquentes, au fil des modifications réglementaires et des évolutions technologiques.



Les derniers échanges que nous avons pu avoir avec les délégations employeurs et salariés lors des réunions des Commissions paritaires nationales, avec les instances représentatives des personnels dans de nombreux établissements et dans les différents Comités de groupe permettent, à ce jour, de dégager les postulats suivants, dans l’hypothèse où le projet JADE devait déboucher sur une autorisation pérenne :

  • adossement de l’offre en ligne à équivalence avec l’offre proposée par les établissements physiques ;
  • perception des recettes fiscales par les communes accueillant les casinos « en dur » ;
  • sécurisation du marché national par le truchement d’une adaptation de la législation et de la réglementation.


Ces dispositions portent le syndicat représentatif Force Ouvrière à mettre en évidence les points suivants :


- Jusqu’à quand le nombre d’établissements de jeux resterait-il iso alors même qu’il serait doublonné par son équivalence en ligne ?


- Quelles dispositions nouvelles pourraient intervenir sur les cahiers des charges des établissements existants (les établissements « porteurs ») afin de sécuriser les emplois existants et de renforcer le caractère d’attractivité touristique que représente un établissement de jeux pour une commune ? 


- Comment mieux protéger les intérêts des collectivités ?

Sur ce point, en l’état actuel du marché, la Cour des Comptes préconise l’élaboration d’un modèle de cahier des charges et de contrat pour ce type de délégation de service public.


- Les retombées financières accrues pour les mairies induites par le produit des jeux ne devraient-elles pas prioritairement permettre de revivifier certains postes communaux dédiés à l’animation ou à l’action sociale ?

Dans ce cas également, les conclusions de la Cour des Comptes sont limpides : « Aux collectivités territoriales : Procéder à l’évaluation des retombées de la présence, sur le territoire, du casino en matière de développement touristique et culturel et en présenter les résultats à l’assemblée délibérante à l’occasion de l’examen du rapport du délégataire prévu à l’article L. 1411-3 du CGCT. »


- Depuis plus de 10 ans, la baisse du nombre de salariés et, partant, de la masse salariale, est lente mais inexorable. La probable ouverture des jeux en ligne doit être conditionnée à l’arrêt de cette hémorragie qui doit autant à l’évolution des technologies et des process qu’à la volonté de modéliser une polyvalence accrue, parfois au mépris de la sincérité des jeux. 

A cette fin, des emplois et des statuts actuellement répertoriés dans la branche sont en cours de disparition car une réorientation vers des emplois transférables au modèle casinos en ligne/casinos en dur est très probablement en cours. 

Cette restructuration à bas bruit doit cesser, le strict respect et l’application de la réglementation des jeux en vigueur permettant d’y aboutir ! 


Enfin, et dans un autre ordre d’idées, la partie juridique et réglementaire, telle qu’elle devrait être revue aux fins d’autoriser l’exploitation des jeux de casino en ligne pourrait possiblement contrevenir à la Déclaration n° 17 relative à la primauté annexée au traité de Lisbonne de 2007, et qui précise : « La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, les traités et le droit adopté par l'Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions définies par ladite jurisprudence ».


Le droit européen s’imposant au droit national, des groupes et intérêts financiers pourraient à terme obtenir que ces mesures soient jugées protectionnistes envers le marché national et se positionner afin d’acquérir des établissements de jeux, ce qui leur permettrait in fine d’accéder au marché en ligne.


Pour toutes ces raisons, nous sollicitons de votre haute bienveillance l’examen de cette situation et des conséquences qui pourraient en résulter.


Recevez, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.



Claude François

Secrétaire de la Section Fédérale

Casinos & Clubs de Jeux


Dominique Dorgueil

Secrétaire fédéral

au titre de la Section Casinos & Clubs de Jeux